"La musique a toujours été une malédiction pour moi. J'y pense en me couchant et en me levant…" L'obsession magnifique saisit Miles Davis dès l'âge de 13 ans, quand son père, riche dentiste dans un sud des États-Unis ségrégationniste qui n'épargne pas sa famille, lui offre, en 1939, une trompette. L'adolescent absorbe alors tous les sons, de la forêt aux oiseaux, pour nourrir un génie précoce, qui le conduit sur scène dès ses 17 ans. Dans les pas de ses idoles prophètes du be-bop, Charlie Parker et Dizzy Gillespie, le prodige plonge bientôt dans l'incandescence de la 52e rue à New York, laboratoire du jazz moderne, où s'entrelacent chaque nuit pouvoir de la Great Black Music, sensualité et fulgurances. Par l'élégance et le lyrisme ensorcelant de sa musique, le trompettiste compositeur à la souveraine beauté invente un son pur, gravé sur l'album iconique Birth of the Cool en 1949. Mais le racisme mine l'artiste, qui s'envole pour Paris, où la liberté, tout comme son intense histoire d'amour avec Juliette Gréco, dans l'euphorie de l'après-guerre, le galvanisent. Ses démons le rattrapent à son retour, lorsque Miles sombre dans l'héroïne, avant de renaître, tel un phœnix, dans un nouveau quintette avec Coltrane. Inspiré par la danseuse Frances Taylor, sa muse et compagne, ce maestro de l'improvisation, qui colle le pavillon de sa trompette au micro et casse les codes avec panache, tutoie les sommets, signant la mythique BO d'Ascenseur pour l'échafaud et l'entêtant Kind of Blue. Star glamour des sixties, Miles roule en Ferrari et s'habille en prince, rebelle. Sorcier de pénétrantes mélodies - "So What", "Round Midnight"… -, l'artiste phare de la Columbia ne cesse jamais de se réinventer. Captant les pulsations de son temps, il sait repérer les jeunes talents auxquels il s'adjoint, dont Herbie Hancock ou Quincy Jones. Explorer toujours l'inconnu, l'enfer aussi, quand sa jalousie le rend fou ou que les violences policières dont il est victime le précipitent durablement dans un trou noir, jusqu'à l'ultime résurrection.
Le goût du danger
Produisant un son si beau qu'il transperce les âmes, Miles Davis (1926-1991) s'est employé avec un suprême raffinement à briser les frontières. Emmené par sa voix éraillée, ce film, construit comme une partition de jazz, dessine le portrait de ce visionnaire aussi sincère qu'orgueilleux, qui flirtait avec le danger sur scène comme dans la vie. Be-bop, cool jazz, musique orchestrale, fusion et même précurseur du hip-hop : le trompettiste, ami de Prince, était assoiffé d'expériences avant-gardistes. En un kaléidoscope de formidables archives - l'empereur "Miles" fascinait photographes et cameramen - et au fil de témoignages de musiciens - Carlos Santana, Herbie Hancock, Wayne Shorter, Quincy Jones ou René Urtreger…-, de ses enfants et des femmes qu'il a aimées, dont Juliette Gréco, Frances Taylor ou Jo Gelbard, avec laquelle il s'adonna à la peinture, un fabuleux retour sur le parcours d'une légende, rongée par ses addictions et les discriminations.
Documentaire de Stanley Nelson (États-Unis, 2019, 1h55mn) - Production : Davie Raynes Productions, Mad Dog Pictures
Première diffusion sur Arte : 18 octobre 2024
Construit comme une partition de jazz, et légendé par sa voix off éraillée et les musiciens qui l'ont accompagné, le portrait du génial trompettiste-compositeur, qui grava, de son souffle unique, quelques-unes des plus belles pages du genre.