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Vive La France

  • Vive La France
Genre : Théâtre

1. Retour à la case départ

On dit souvent qu'on aperçoit quelque chose de quelqu'un à travers son oeuvre ou une partie de cette oeuvre. C'est sans doute vrai. On voit se dessiner les contours obsessionnels de l'auteur, l'apparente variété de ses thèmes qui ne sont en réalité qu'une seule et même trace sur le papier. Peu importe. On reconnaît certains mots, parfois des expressions entières qui reviennent au fil des ouvrages. On a le sentiment au bout d'un moment qu'on partage à distance avec lui une certaine intimité. On finit toujours par se faire une idée de celui qui est derrière l'oeuvre et donc de l'image qu'il construit malgré lui dans l'imaginaire du lecteur.
Une image sur laquelle il n'a aucune emprise.
Une image qui finit immanquablement par emprisonner son sujet.
J'ai commencé à écrire du théâtre avec quatre pièces : De Plein Fouet, mis en scène par Gilberte Tsaï, Les Acharnés, Les Fragments de Kaposi et Les Nouveaux Bâtisseurs, mis en scène par Claire Lasne.
Il y a une certaine logique dans ces textes, une unité stylistique, même si elle commence à peine à se mettre en place. On pourrait faire une étude et remarquer telle ou telle analogie. On pourrait comparer, analyser, extraire des situations ou des idées récurrentes. On pourrait enfin facilement dresser un "portrait" et une filiation littéraire, une appartenance à un mouvement, une famille. On pourrait aisément se faire une image rassurante, une image à laquelle on pourrait faire appel à chaque fois que l'on parlerait du "travail de Mohamed Rouabhi".
Lorsque je regarde derrière moi sans nostalgie et que je me penche sur cette période, il n'y a cependant pour moi qu'un seul point commun entre tous ces textes, un seul visage derrière toutes ces histoires, un seul cadre à tous ces moments de solitude : l'appartement 422, au 27 de la rue Henri Longatte, à Drancy. Autrement dit, un des plus vieux foyers de travailleurs immigrés de l'Ile de France, le Foyer Sonacotra de Drancy.
J'y ai vécu un peu plus de quatre années.
Je n'étais pas en résidence d'auteur.
Je n'étais pas en immersion pour apprendre le tamazighrt, le serbo-croate ou le bambara.
J'étais un des deux seuls français parmi 17 nationalités différentes.
J'étais également le plus jeune locataire et sans doute un des rares à savoir lire et écrire une quelconque langue.
Je dus m'y résoudre et enterrer la moindre de mes vanités. Je n'étais pas comme on me voyait à travers mes pièces de théâtre éditées chez Actes Sud-Papiers, mais comme on a toujours vu ceux qui se sont couchés avant moi dans le lit de l'appartement 422 : un travailleur célibataire arabe.
l'extérieur.
J'ai toujours pensé alors que je finirais par raconter cette histoire. A ma façon.
L'histoire de ceux qui ont fait l'Histoire de France en filigrane. L'histoire de ceux qui se sont couchés un jour dans un lit loin de leur pays, loin de leur langue et de leur lumière.
L'histoire de ceux dont les noms et les visages se sont fondus dans l'asphalte du périphérique parisien, dans les galeries du métro au début du siècle, entre les grappes de raisin du sud de la France en septembre, dans les plaines de la Marne en 1917, sous les tonnes de béton du Stade de France ou du Musée des Arts Premiers, sur les bords du Lac Daumesnil pendant l'exposition internationale Coloniale de 1931 à Paris.
Dans un transformateur électrique à Clichy.
La France de 100 millions d'habitants. La plus grande France. La France de Poniatowski et de Sarkozy. La France schizophrène, qui t'aime en 98 et t'expulse en 2006.
La France qui se bat.
La France qui se débat.
Retour à la case départ.

2. Histoire(s) de France

Je ne me suis jamais intéressé à l'histoire de France enseignée à l'école, le peu de temps que je l'ai fréquentée. Il a fallu qu'elle s'intéresse à moi et pénètre dans mon quotidien pour que je comprenne enfin qu'elle n'était pas une matière figée dans le temps, mais une respiration continue qui forge les destins en aspirant et en rejetant les hommes au gré du vent. J'ai compris aussi que cette histoire officielle avait grugé bon nombre de ses auteurs et n'avait jamais reversé ce qu'elle devait aux ayant droits. Mais leurs descendants réclament maintenant que le nom de leurs aïeux figure sur la couverture du grand livre de la République.
Et ce n'est pas un besoin de reconnaissance, une quête identitaire ou l'exigence réparatrice d'une "repentance permanente" comme l'a odieusement affirmé Monsieur Nicolas Sarkozy.
Il s'agit d'assumer et de faire partager à tous les Français cet héritage commun, qui va de la colonisation à l'immigration et qui a permis à notre pays de devenir ce qu'il est aujourd'hui, avec tous ses défauts et toutes ses qualités. Un héritage commun qui doit servir à comprendre et construire, et non pas à ignorer et punir.
Un héritage du paradoxe. Le grand peuple français ouvrier qui ne veut pas différencier la sueur du Kabyle et celle du Lorrain et qui lutte au coude à coude pour l'émancipation de tous ses travailleurs.
Le grand peuple français qui dans une crise aiguë de paranoïa s'invente un ennemi de l'intérieur et lève un moment le voile sur son côté obscur, le temps d'une élection.
Notre haine à nous, enfants et petits-enfants d'ouvriers ou de soldats indigènes, fut le fruit du mépris viscéral que ce pays a témoigné à l'encontre d'une partie de sa population au sortir des années 70 jusqu'au début des années 90. Nous étions indésirables car notre mère Patrie a fait des enfants partout dans le monde, des enfants qu'elle s'est refusée à reconnaître le jour où ils ont eu l'âge de parler et d'essayer de comprendre pourquoi on voulait les cacher alors que tout le monde savait qu'ils existaient ! Cette reconnaissance, nous l'avons désirée en vain. Le temps a passé et à présent il n'est plus question de cela.
Il s'agit de faire appliquer les lois et d'en exiger d'autres. Il s'agit de mettre côte à côte tous les Français et de constater, malgré les APPARENCES, que la seule chose qu'ils ont en commun aujourd'hui, c'est d'être français et qu'être français, ce n'est plus appartenir à une quelconque idée de la France, mais à une réalité : l'héritage de 150 années de colonialisme et d'émigration.

3. La France en scène

Il ne s'agit pas pour moi dans ce spectacle d'opérer de façon académique, linéaire ou dramatique. Il n'y a pas de trame, ni de fil conducteur mais plutôt une construction nucléaire : le rassemblement d'artistes d'horizons différents et de matières hétérogènes qui formeront un noyau à partir duquel ces histoires prendront forme.
S'il faut une métaphore, cela ressemble plus à une étoile qu'à la queue d'une comète.
La matière première est à la fois humaine et matérielle.
Ce ne sont que le traitement et le détournement d'images d'archives et de textes par les artistes qui produiront la "parole". Cette parole peut-être musicale, lyrique, poétique, muette ou photographique. Si l'on parle d'écriture, c'est de cette écriture tentaculaire qu'il s'agit.
Un exemple parmi beaucoup d'autres.
Une des séquences de Vive la France a pour point de départ un flash d'information de 7h sur Europe n°1, en août 2005. Le journaliste appelle en direct le reporter présent au pied de l'immeuble qui a brûlé dans la nuit, tuant 25 personnes. Des travailleurs étrangers et leurs enfants français. La voix du reporter est hésitante, il est envahi par l'émotion mais tente de ne rien laisser paraître. Il aperçoit alors une femme devant lui, il improvise, lui tend son micro. La femme se met soudain à hurler dans une langue qu'on ne comprend pas. Ses hurlements de douleur se transforment peu à peu et deviennent une sorte de plainte profonde et viscérale, les mots et les paroles n'ont plus d'importance, c'est la langue de la souffrance et de la peine et cette langue universelle est reconnaissable entre toutes. Elle balaye tout notre être.
De ce hurlement sans fin naît un chant, interprété par Inès, cette jeune femme déjà présente dans Requiem opus 61 et Malcolm X.
Par la suite, des images et un poème viennent clore - momentanément - cette séquence.
Momentanément, car rien n'est définitif dans ce spectacle. Des voix reviennent, des visages reprennent des couleurs. Les images muettes en noir et blanc des Frères Lumière montrant pendant une minute douze, deux femmes distribuant des sapèques à une vingtaine d'enfants annamites laissent place à un poème d'une violence inouïe dit par son auteur, le slameur vietnamien UCOC.
La naissance de la photographie, puis du cinéma, a coïncidé avec l'industrialisation de l'Europe et le début de l'apport massif de main-d'oeuvre étrangère. Ces bouleversements ont contribué à transporter à travers l'espace et le temps des hommes et des femmes dont l'image, désormais impressionnée sur la pellicule, allait donner naissance à une nouvelle forme d'exploitation spectaculaire.
Des thèses scientifiques françaises du 19° siècle tendant à asseoir les théories sur l'inégalité des races et la supériorité de la race blanche, aux analyses pointues et foudroyantes du sociologue Loïc Wacquant sur le soulèvement populaire des banlieues, Vive La France se nourrit de tous ceux qui ont écrit à partir de l'histoire coloniale de notre pays.
Ce spectacle n'a rien de tendre. Il n'épargne personne. Car notre société ne nous enseigne pas la tendresse. Nous l'acquérons avec l'âge et alors la sagesse remplace la rage et la colère qui s'estompent doucement avec les rides et la peau qui durcit. Ce spectacle est forcément injuste parce qu'il divise comme toute oeuvre d'art divise par nature car elle n'est que le point de vue d'un homme sur le monde qui l'environne.
Mais il est nécessaire et se veut authentique et humain, car les hommes et les femmes qui l'inventent ont pris le parti de s'engager personnellement dans tout ce qui sera dit et montré. Car ils ont décidé un jour d'épouser ce pays et son histoire. Ils ont décidé de ne pas trier dans leur héritage.
Enfin, ils ont décidé de former une communauté qui pendant deux heures, va se livrer à une grande opération sans anesthésie.
Pour que vive la France.
Leur France.
Notre France.


4. Les choix esthétiques et artistiques

Sans vouloir à tout prix donner à lire dans ce dossier ce qu'on sait être qu'une ébauche de mise en scène ou de scénographie qui trouveront le temps de se mettre en place sur le plateau, je peux m'aventurer sans trop me tromper à brosser quelques grands principes d'occupation de l'espace. A l'instar des créations précédentes - Malcolm X, Requiem opus 61, Moins qu'un Chien - l'image et le son tiendront une grande importance.
Images. Une grande liberté de travail en ce qui concerne l'exploitation des images : variété d'appareils (vidéoprojecteur, rétroprojecteur de conférence, projecteur de diapositives), d'axes de projection (frontal, zénithal, ponctuel - sur des corps fixes), de supports (papier inflammable, toile parachute, écran classique, draps etc.).
Les sources et les origines des films sont quasiment infinies. Sont concernés tout ce qui ressemble de près ou de loin à des images en mouvement : films industriels, courts métrages muets, films de propagande, fictions françaises et étrangères, films amateurs, films interdits ou censurés (sans visa d'exploitation), reportages, documentaires TV, archives INA, films publicitaires, films d'avant-garde, expérimentaux, clips musicaux, images provenant d'internet, de téléphones portables… Sons. En matière de son, j'oserais dire que ce qui est décrit concernant l'image sera ici multiplié par 10 ! L'immense variété de sources sonores et musicales (particulièrement des archives radiophoniques), la musique enregistrée en studio par nos soins, constitueront une banque inépuisable ! Décor. Pas de décor, mais des accessoires ou du "mobilier" rudimentaire: des chaises, des bancs, des platines posées sur une table étroite. Si les acteurs ou les musiciens doivent rester sur place, ils seront couchés dans des sacs de couchage de l'armée, des couvertures, des tentes etc. : l'ordinaire des populations expulsées, le théâtre comme dernier refuge des parias.

5. La population

Mohamed Rouabhi mise en scène / jeu / texte / images / scénographie
Jeanne Louvard assistante à la mise en scène / dramaturgie / régie vidéo
Mylène Wagram jeu
Peggy Yanga chant
Inès chant / jeu
Hervé Sika chorégraphie / danse
Mehdi Haddab oud électrique
Géraldine Bourgue jeu / chant / violon
Bijou jeu
Karim Ammour jeu / rap / slam
Marisa Commandeur jeu
Ucoc jeu / slam
Ricky Tribord jeu
Mouloud Choutri contrebasse
Béatrice Blondeau langage des signes
Avec les voix de
Benoît Allemane,
Richard Darbois,
Thierry Desroses
Et la chorale Moun Bwa avec AC, Dally, Delphe, Erika Lernot, Willem Germany, Sweaf'viv, Peggy Yanga, sous la direction d'Inès.
Nathalie Lerat création lumière
Thierry Rallet création son
Julien Barbazin direction technique
Laurence Vlasic régie plateau
Véronique Felenbok administratrice
Florence Bourgeon administratrice
Aurélia Ferrière assistante de production
Olivier Saksik attaché de presse


6. Travail de terrain

Pendant deux mois - une trentaine d'heures - trois ateliers seront dispensés par quelques artistes qui interviendront ponctuellement : Mohamed Rouabhi, Peggy Yanga et la chanteuse Inès. L'objet de chaque séance sera d'élaborer des fragments scéniques inspirés de matériaux sonores, visuels ou textuels.
1/ Le premier stage mettra l'accent sur la pratique de l'écriture et de l'interprétation. Les participants devront écrire seuls ou à plusieurs à partir d'un élément figurant dans le spectacle (texte, extrait d'interviews ou de film, chanson). Par la suite, ils passeront au plateau pour du travail collectif, une initiation à l'improvisation, un travail individuel sur un texte court, des séances d'apprentissage de la lecture.
2/ Le second stage abordera des thèmes similaires à l'atelier de jeu. Cependant, il mettra l'accent sur la pratique du slam. De l'écriture au plateau, il s'agira de concevoir un texte personnel et d'accéder rapidement à son traitement scénique.
3/ Enfin le dernier atelier concernera les amateurs de chant choral. Afin de constituer un groupe d'une dizaine d'interprètes capable au terme de deux mois de travail de proposer trois ou quatre chants du répertoire contemporain ou classique.
Au terme de ce triple chantier, ces modules pourront donner lieu à une ou deux présentations suivies d'une rencontre avec le public.
Toutefois, le but étant de constituer un groupe d'apprentis comédiens amateurs d'un côté et d'une formation chorale de l'autre, le metteur en scène pourra leur proposer - suivant le niveau atteint - d'intégrer la distribution d'artistes professionnels pour la création du spectacle.

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