Le roman nigérian anglophone est né avec Amos Tutuola (né en 1920 à Abeokuta, mort en 1997), sans doute le plus fécond et le plus original des romanciers anglophones de l'Afrique. The Palm Wine drinkard (1952), qui ne faisait pas très sérieux en ces années de militantisme nationaliste, est salué par Dylan Thomas, traduit en français par Raymond Queneau, dès 1953, publié chez Gallimard sous le titre L'Ivrogne dans la brousse, et sans cesse réédité depuis. Amos Tutuola a beaucoup écrit, conservé la même fantaisie et suscité une kyrielle d'admirateurs.
Michèle Laforest, grande admiratrice de Tutuola, nous a déjà donné de magnifiques traductions de My Life in the bush of Ghosts (Ma vie dans la brousse des fantômes, 1988) et Feather Woman of the jungle (La femme plume, 2000). Avec ce livre, elle va au bout de sa fascination : Tutuola lui-même devient personnage au milieu de ses fantômes : enlevé par la terrible Femme-plume, qui se déplace en chevauchant des autruches, il disparaît un beau matin de son domicile. Nestor, son biographe et serviteur, va se lancer à sa recherche ; avec l'aide de Soeur Mary, Mère Secourable, qui prépare des gris gris imparables pour défier Femme-plume, et à l'issue d'un parcours initiatique semé d'embûches, il va retrouver son maître et le ramener, est-ce bien sûr, à la réalité.
Nourri d'une connaissance intime de l'univers de Tutuola, ce récit plein d'humour, fantaisiste et fantastique, est aussi la meilleure introduction qui soit à l'oeuvre de l'écrivain nigérian. La légèreté et la subtilité de Michèle Laforest nous rendent complices de ce jeu entre réel et fiction qui déplace et brouille les frontières du roman, tisse des liens supplémentaires entre l'Europe et l'Afrique.