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La collection "L'Afrique au cœur des lettres", à L'Harmattan, se veut un espace de publication et de réflexion autour du regard littéraire sur l'Afrique. Dans cet esprit, elle est heureuse d'accueillir l'essai Io l'Africaine qui revisite le fonds littéraire, mais aussi philosophique européen pour y débusquer l' "héritage" africain au cœur de son imaginaire. À ce titre, cet essai stimulant, original et argumenté met en œuvre le renversement à l'origine même du titre de la collection : celui du paradigme conradien qui place l'Afrique au cœur des ténèbres pour la resituer au cœur des lettres. Là où notre imaginaire se niche au mieux et agit selon une dynamique propre. C'est cette dynamique qu'étudie Momar Désiré Kane dans son ouvrage que tout africaniste, mais aussi tout analyste des mythes occidentaux, ne manquera pas de lire.
C'est en effet un changement de perspective que nous propose ici Momar Désiré Kane. Suivant la piste d'Io, cette jeune femme que Zeus amoureux transforme en génisse pour tromper la vigilance de son épouse Héra et qui passe en Egypte par le Bosphore, Momar D. Kane y retrouve l'Afrique, berceau de l'humanité et terre d'élection des dieux pour les Grecs. Il nous y fait surtout redécouvrir le fondement d'un imaginaire qu'un Occident rationaliste n'a cessé d'occulter et de rejeter à sa périphérie, mais qui a continué à nous hanter à travers les arts et la pensée, d'Homère et Virgile à Le Clézio en passant par Picasso et Freud. La conquête de l'Afrique à partir du 16e siècle ne serait-elle alors que la reprise en main de nos profondeurs animistes et de cette part émotionnelle de nous-mêmes dont Senghor disait qu'elle est nègre comme la raison est hellène ? Comme si l'irrationnel s'était enkysté en un continent à rejeter et mieux soumettre ensuite ? Quand émotion et raison, nous dit Kane à travers une lecture des philosophes grecs, définissent toute humanité et qu'il n'y a, bien sûr, de société que civilisée… La leçon vaut donc aussi pour les Africains : revisitant les théories afrocentristes de Cheikh Anta Diop et le concept senghorien de négritude, Kane rappelle que l'Africain est homme avant d'être nègre. Il n'y a pas de spécificité africaine réductible à la race et à la géographie. Il n'y a de géographie qu'imaginaire. Et de géographie que de l'imaginaire. Repenser les rapports entre l'Afrique et l'Occident sous l'angle de cet imaginaire et de sa dynamique, c'est les sortir de tout réalisme simpliste et toute confrontation faussement identitaire. C'est abattre les murs montés entre les continents et reconstruire, à leur place, des passerelles.
Momar Désiré Kane Io l'Africaine, L'Afrique et ses représentations:
de la périphérie du monde au cœur de l'imaginaire occidental
L'Harmattan, Coll. L'Afrique au coeur des lettres, 24 x 15,5 cm.