d'après l'oeuvre d'Albert Camus
Chorégraphe : Hamid Benmahi
Compagnie El Ajouad / Oran
Avec Maghraoui Abdelkader, Malka Bel Bey, Rida Belghiat, Tarik Bouarrara, Hadi Khelfallah, Kheireddine Lardjam, Mohamed Ybadri.
Régisseur du spectacle : Benzouak Abdallah
Voici ce qu'en écrit Camus dans la préface à l'édition française :
"En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l'ont précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires que puissent paraître, en effet, certaines des situations de cette pièce, elles sont pourtant historiques.
Ceci ne veut pas dire, on le verra d'ailleurs, que Les Justes soit une pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis. J'ai seulement tâché à vraisemblable ce qui était déjà vrai. J'ai même gardé au héros des Justes, Kaliayev, le nom qu'il a réellement porté. Je ne l'ai pas fait par paresse d'imagination, mais par respect et admiration pour des hommes et des femmes qui, dans la plus impitoyable des tâches, n'ont pas pu guérir de leur coeur. On a fait des progrès depuis, il est vrai, et la haine qui pesait sur ces âmes exceptionnelles comme une intolérable souffrance est devenue un système confortable. Raison de plus pour évoquer ces grandes ombres, leur juste révolte, leur fraternité difficile, les efforts démesurés qu'elles firent pour se mettre en accord avec le meurtre - et pour dire ainsi où est notre fidélité.".
Note d'intention
"Pièce en cinq actes de l'écrivain français Albert camus (1913-1960), créée en décembre 1949, publiée en 1950.
S'inspirant de faits et de personnages authentiques, et remarquablement documentée, la pièce est centrée sur un attentat perpètre contre le grand-duc par des terroristes russes du parti socialiste révolutionnaire, en 1905, à Moscou. Elle pose le problème du terrorisme et de la légitimité du meurtre sur lequel L'Homme Révolté, dont la rédaction est contemporaine, reviendra longuement. De structure très classique, cette pièce met en scène l'affrontement entre deux conceptions de la révolution et de l'acte terroriste. Stepan, qui place son idéal abstrait de justice absolue au-dessus de tout et de la vie même, pense qu'il n'y a pas de limite a l'action révolutionnaire. Kaliayev, le poète, venu a la révolution par amour de la vie, de la beauté, du bonheur, refuse d "ajouter à l'injustice vivante pour une justice morte".
Dans un premier temps, l'attentat n'a pas lieu : Kaliayev ne peut lancer la bombe contre la calèche du grand-duc, car celui-ci est accompagné d'enfants (acte II), mais il accomplit cet acte deux jours plus tard (acte III). Il est emprisonné et condamner à la pendaison ; le chef de la police, par politique, et la grande-duchesse, par esprit religieux, essayent de le convaincre de demander sa grâce. Mais Kaliayev pense que seule sa propre mort peut lui permettre de garder son innocence : "Si je ne mourrais pas, c'est alors que je serais meurtrier" (acte IV). Bien que le chef de la police ait fait en sorte que l'on croie a la trahison de Kaliayev, ses compagnons le savent fidèle ; sa mort, dont les circonstances précises sont rapportées, est sa justification. Dora, la femme qu'il aimait et dont il était aimé, l'a bien compris ; il n'est plus un meurtrier : "Il a suffi d'un bruit terrible, et le voila retourné aux joies de l'enfance." Dora, en accomplissant le même acte que lui, le rejoindra dans la mort (acte V).
Cette pièce de théâtre est courte, rapide mais complexe, sa syntaxe élémentaire renferme une polémique intéressante sur les limites des terroristes, sur les convictions profondes qui les habitent, sur leur façon de penser. Sont-ils en droit de commettre des actes odieux sous prétexte qu'ils sont là pour "libérer le monde !" Quel prix sont-ils prêts à payer pour arriver à leurs fins ? De cet ensemble se dégage une nécessité ; celle de comprendre l'humain dans ce qu'il a de plus profond. Une oeuvre qui est un prétexte de mise en scène d'une seule et unique idée : la conscience humaine Ce texte a le mérite de montrer l'absurdité d'une lutte aveugle qui ne se préoccupe pas des moyens qu'elle emploie quand elle se fait terroriste et qu'elle cible autant les innocents que les coupables de l'oppression. Un questionnement sur le prix à payer pour renverser des oppresseurs. C'est pour ces raisons que ce texte est universel et qu'il inspire encore de nos jours.
L'époque troublée que nous traversons, les accrocs faits aux droits de l'homme, les bouleversements que créent les actes terroristes à nos portes suscitent une réflexion que la position d'intellectuel de Camus peut encore éclairer. Ce qui est juste pour les uns ne l'est pas nécessairement pour les autres. Mais, n'est-ce pas Sartre lui-même, que Camus n'a jamais endossé dans ses positions idéologiques, qui affirmait "l'enfer, c'est les autres" ? Camus est, et demeure, d'une actualité éclatante : son propos, ses propos philosophiques devrais-je ajouter, relève d'une criante réalité qui se macule de sang à l'écran quotidien de nos téléviseurs. Comme si nous étions devenus des spectateurs boulimiques de l'horreur ensanglantée !"
Kheireddine Lardjam